mercredi 19 mai 1993

Le nourrissage des vautours : était-ce vraiment indispensable ?

                                             Son historique, son avenir.


Dans les Pyrénées-Atlantiques depuis 1973, la pratique du nourrissage artificiel du vautour s’est considérablement développée. Vu les résultats 20 ans après, était-ce vraiment indispensable ?

Pour évoluer son utilité, il est important de dresser l’historique de l’oiseau dans son milieu depuis son origine.
Plusieurs questions se posent donc :

A : Depuis quand les vautours vivent-ils dans les Pyrénées ?
B : Depuis combien d’années l’homme est-il présent dans les Pyrénées ?
C : Depuis quelle époque la dépendance alimentaire a-t-elle eu lieu ?

Réponse :
A : Il est fait état dans la bibliographie précitée que les ossements d’un vautour (lequel ?) ont été retrouvés dans une couche datant de l’éocène soit de 54 à 38 millions d’années avant notre ère, ceci dans le bassin parisien et en Amérique du Nord  (Fitter-Roux 1971-page 307).
En tout état de cause, toute la bibliographie est formelle à partir du miocène jusqu’au pliocène de 26 à 2 millions d’années avant notre ère, la majorité des familles d’oiseaux actuelle sont présente et « l’ont admettre que la plupart des espèces actuelles se sont différenciées au pléistocène (Jean Dorst 1971 : pages 596-597) »
Donc incontestablement, l’espèce est déjà présente dans les Pyrénées dès cette époque.

B : l’apparition de la civilisation humaine dans les Pyrénées débute avec l’homo erectus, nous sommes dans l’acheuléen soit environ 200 000 ans avant J.C. Déjà il est clair que l’homme n’est qu’un chasseur.

C : Pour ce qui est la dépendance alimentaire, elle vient de l’époque où l’homme a commencé à élever des animaux destinés à son usage. Elle conduira plus tard au pastoralisme. Cette pratique a incontestablement permis qu’une certaine dépendance alimentaire se crée de la part des nécrophage et ensuite des éleveurs. Parce qu’un nécrophage va toujours au plus facile et parce que l’élevage crée automatiquement des pertes qui furent « nettoyées » donc très utiles pour l’éleveur.

Pour ce qui est du pastoralisme, il aurait débuté avec le néolithique à partir de 4830 ans avant J.C. (Laplace 1984).
D’ores et déjà, nous pouvons dire que les vautours ont vécu plusieurs millions d’années rien qu’avec l’apport de nourriture due à la faune sauvage. C’est un élément important, même si nous ne savons pas avec exactitude la densité de la faune, nous en connaissons les familles.
L’autre élément important est l’élevage et l’entretien d’animaux pour un usage domestique.
L’homme n’est plus le chasseur qui suit les migrations animales, il se sédentarise et devient éleveur ; et contrairement à ce qui est dit, l’époque et calme, il n’est pas le chasseur que l’on veut faire croire. Il protège ses troupeaux, plus qu’il ne détruit ses prédateurs, car il n’a pas encore les moyens, tout changera avec les armes à feu (même pour les vautours).

Discussion

Puis arrive 1973 ! Un homme, Monsieur Ardouin, garde chef de la fédération départementale des chasseurs des Pyrénées Atlantiques, qui, pour des raisons affectives et passionnelles, commence en hiver le nourrissage des vautours.
Pour lui : « pendant la période de disette, il faut fixer les vautours en zone de montagne afin de les éloigner au maximum de tout danger d’une part, et leur permettre d’évoluer dans un milieu plus favorable, par un apport artificiel de cadavres les mois d’hiver, sur les lieux où, durant tout l’été, les oiseaux s’approvisionnent naturellement ». (2 page 23)

Néanmoins, ce n’est que de l’affectif même avec beaucoup de dévouement et de courage. Dans les premiers temps, la viande était transportée dans le coffre de sa voiture et avec ses deniers. Bien qu’aucune étude préalable n’ait été faite pour savoir si il n’y avait que des avantages pour l’espèce. D’ailleurs beaucoup ont emboîté le pas, jusqu’au Moyen-Orient ! (Dendaletche 1988, page 98)

Aujourd’hui nous devons nous poser de sérieuses questions :
-Pourquoi la population de gypaètes barbus reste toujours à 6 couples dans les Pyrénées Atlantiques (aucune reproduction en 1992) ?
-Pourquoi celle des percnoptères n’évolue guère : plus de 35 à 40 couples malgré quelques cas de rassemblement sur des lieux propices à nourriture facile ? Dans leur brochure les chasseurs se posent pourtant cette question (2 page 36).

Seuls les vautours fauves semblent en bénéficier, des 35 couples en 1964 (Terasse d’après Yeatman 1971). Aujourd’hui la population se situe autour de 300 couples dans les Pyrénées Atlantiques. Est-ce dû uniquement au nourrissage artificiel ? En partie mais aussi à la relative paix des chasseurs, et grâce à l’information et à la protection faite sur l’espèce.

En 1873 il n’y avait pourtant aucun nourrissage artificiel et l’oiseau était commun dans les Hautes Pyrénées, donc les vautours avaient maintenu leur population depuis des millions d’années.
 
A cette époque Monsieur Philippe écrit : « il niche dans les rochers les plus inaccessibles qui avoisinent notre pic du Midi, ainsi que les rochers des environs de Paillole et de Sarrancolin. Il est commun sur les Pyrénées et sédentaire ». (Philippe 1873)
Nous savons par ailleurs qu’il nichait sur le Pibeste Sud entre Lourdes et Argelès. (P.Desaulnay. com pers.) Malheureusement nous ne savons pas grand-chose avant le 19e siècle, car l’ornithologie est une jeune science.

Sa disparition des Hautes Pyrénées est due principalement à des persécutions diverses, car si cela n’était dû qu’au manque de proies, la population des Pyrénées Atlantiques aurait subi le même sort.
Après 20 ans de nourrissage dans les Pyrénées Atlantiques, il n’y a toujours pas de reproduction dans les Hautes Pyrénées, pourtant si proche et si visitées en été. Est-ce dû uniquement à l’absence de rémanence ? Je ne le pense pas, à cause du comportement des vautours.
Sur plusieurs sites de nourrissage les vautours en attendant le véhicule du nourrisseur, le suivent dès le fond de la vallée et se pose tranquillement autour de l’aire en attendant que l’homme pose les carcasses, certains n’attendent même pas qu’il ait fini pour se nourrir.

« C’est entre le donjon des aigles et les écrits d’A.E. Berhm, sur la captivité des vautours ». L’autre comportement est que les colonies se développent principalement autour des aires de nourrissage. Dans les Pyrénées Atlantiques le nourrissage est estimé à 50 tonnes par an.

Aujourd’hui, c’est clair, le nourrissage n’est plus aussi utile que la Fédération des chasseurs veut bien le dire, c’est même loin d’être la panacée..! D’autant que comme nous l’avons démontré, avant l’homme, avant le pastoralisme et avant les nourrissages, ils ont toujours maintenu leur population.
L’homme a créé un premier déséquilibre, certes c’était une autre époque, mais aujourd’hui nous en créons un autre tout aussi dangereux pour l’espèce. Alors si l’on continu à nourrir, il faut avoir des objectifs précis, tel la réintroduction dans des sites où il nichait jadis, des hautes Pyrénées et des Alpes du Sud, où là, il a complètement  disparu.
Sinon nous allons maintenir une population en sur effectif et en complète dépendance, comme c’est un peu le cas aujourd’hui.
L’autre objectif est de dénombrer le nombre d’oiseaux, pour quantifier la nourriture et que celle-ci ne soit pas déposée toujours au même endroit.

Voici les données du problème, pour quel avenir ?

Andréas Guyot.


                                                       Bibliographie principale

1-    Dendaletche Claude 1988 : grands rapaces et corvidés des montagnes d’Europe. Acta Biologica Montana, 9 rue Gaston Chaze 64000 Pau
Ce livre est à lire absolument car il traite totalement le sujet

2-  fédération départementale des chasseurs des Pyrénées Atlantiques 198?.
Cette brochure n’a pas été distribuée dans le commerce, j’en possède une photocopie,   l’ouvrage n’est pas daté. A lire malgré un raccourci scientifique sur l’utilité du nourrissage, c’est à se demander comment les vautours ont fait pour se nourrir avant.

                                                     Bibliographie secondaire

Brehm A.E. 1878 : l’homme et les animaux. Merveille de la nature. Les oiseaux tome 3 Baillière. Paris.
Philippe 1873 : Ornithologie Pyrénéennes. Oiseaux sédentaires, oiseaux de passage. Cazenave Bagnières.
Le Pistrac : bulletin de l’AROMP.
Suettens Willy 1989 : les rapaces d’Europe, édition du Perron. Liège.
Yeatman-Berthelot 1991 : Atlas des oiseaux de France en hiver. SOF. Paris.
Yeatman L 1971 : histoire des oiseaux d’Europe. Bordas. Paris
La place G., Livache M., Evin J., Pastor G ., 1984 : statigraphies et datations par radio carbone des charbons, os et coquilles de la grotte de Poey Maou. Arudy vallée d’Ossau. Anthropologie tome 88 n°3 P. 367-375.

                                              Bibliographie sur l’age des oiseaux

Austin O., Singer 1990 : Famille d’oiseaux. Broquet . Ottawa, Canada.
Bologna G. 1978 : L’univers inconnu des oiseaux. Elsevier, Bruxelles.
Cracraft J. 1992 : Encyclopédie des animaux. Les oiseaux. P 23-26. Les oiseaux au cours des âges. Bordas.
Dorst J. 1971 : la vie des oiseaux. La grande encyclopédie de la nature tome 2. Les formes ancestrales et l’évolution des oiseaux. P 591-609. Edition rencontre, lausanne.
Dossenbach M. et J : 1981 : le monde merveilleux des oiseaux. Bibliothèque des arts, Paris.
Fitter R., Roux F : 1971 : guide des oiseaux. P 306-309. Sélection du Reader’s, Paris.
Perterson T : 1965 : les oiseaux. Life le monde vivant.

Andréas Guyot:
La Bergeronnette: 14: 2-8, (1993) 2e trimestre.